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                                            Interview réalisé par Riccardo ROSSINI pour le magazine Pentaprism :

 

                                           1.     Pourquoi avez-vous choisi la photographie comme moyen d'expression?

 

                                           J’ai depuis toujours recherché un moyen de m’exprimer artistiquement, à travers  l                                           la sculpture, la musique, la photographie… Depuis quelques années, je ne me                                           concentre plus que sur la photo car c’est la discipline qui me correspond

                                           finalement le mieux.

 

                                            2.     Décrivez votre style photographique. Comment l'avez-vous développé ?

                                             Expliquez le déroulement de ce travail.

 

                                           Il y a quelques années, j’ai été sollicité pour une collaboration artistique avec

artistique                            Rodia Bayginot, artiste plasticienne, ce qui m’a amené à réaliser plus de

                                           2000 portraits. C’est au fil de ce travail que je me suis orienté vers la relation 

                                           à  l’autre.  En parallèle, j’ai commencé à travailler sur divers projets, dont 

                                           les  portraits baroques avec ma fille Claire Ordioni .

 

 

                                            3.      Vos personnages semblent faire partie d'un univers ironique et                                             grotesque, évoquant beaucoup de symbolique. Comment avez-vous créé de si charismatiques et incisives personnalités?                                                  

 

Les « Portraits baroques » sont nés d’une recherche de personnages pour un scenario de science-fiction. Ce n’est donc pas un hasard si les photos évoquent un univers cinématographique. Claire et moi avons imaginé un futur où les gens seraient dépossédés de leur humanité, où ils n’auraient pas eu d’autre choix que de sombrer dans une douce folie, essayant de retrouver une dignité à leur manière. Nous voulons éprouver notre rapport à l’étrange et à nos différences par la mise en scène de la poésie et de la violence coexistentes, de la psychiatrie dans un monde visiblement malade, avec des personnages délirants et tourmentés dans un espace-temps inconnu. Depuis, cet univers des « baroques » s’étend sur plusieurs séries.

 

4.         Vos personnages semblent faire partie d'un univers ironique et grotesque, évoquant beaucoup de symbolique. Comment avez-vous créé de si charismatiques et incisives personnalités?

 

Il s’agit d’un simulacre du monde qui nous entoure, une manière de parler des difficultés à se trouver, s’accepter et s’imposer.  Ces différentes sensibilités sont explorées au fil des séries «Portraits baroques », « Barrocco ! », « Baroxisme », « Icônes baroques », « Barock’ stars » et « Ancêtres baroques ».

Claire et moi travaillons ensemble sur ce projet. Nous nous concertons avant chaque séance afin d’imaginer les personnages que nous voulons mettre en scène, puis le jour des prises de vue, Claire maquille le modèle.

 

5.         Comment vous-y prenez-vous pour diriger vos modèles? Comment les choisissez-vous ?

 

Pour le choix des modèles n’y a pas de critères physiques ou d’âge et ce ne sont pas des professionnels. Ils sont souvent issus d’un milieu artistique et expriment l’envie d’intégrer cet univers. La séance s’étalant sur une journée, un temps de préparation est consacré à l’élaboration du personnage, ce qui permet au modèle de comprendre et s’impliquer pleinement.

 

6.         Quelles technologies / logiciels / appareils photos utilisez-vous et pourquoi est-ce que ce sont les meilleurs outils pour ce que vous faites, en tant que photographe?

 

J’utilise un boitier numérique Canon 5D Mark 2, pour moi il est important d’utiliser un plein format car je retrouve les mêmes sensations qu’avec l’argentique. En ce qui concerne la lumière, j’ai longtemps utilisé des flashes déportés mais je me suis équipé récemment de flashes de studio Bowens. Je réalise le post-traitement sur Aperture et Photoshop.

 

7.         Quels sont les points les plus importants pour obtenir une bonne image?

 

Dans le cas de portraits, autant que le choix du propos, la composition et l’aspect technique, il me paraît important qu’une alchimie se crée entre le modèle et le photographe. Et puis il y a une part d’imprévu qui peut sublimer l’ensemble, à laquelle il faut tenter d’être réceptif.

Diane Arbus a dit : « Je n’ai jamais réussi à réaliser la photo que je voulais prendre, elle est toujours soit pire, soit meilleure ».

Même dans le cas de mise en scène composée et réfléchie, je trouve cette phrase très juste.

 

8.         Qu'est-ce qui est le plus difficile selon vous pour devenir photographe?

 

Le monde de la photo est vaste et il est difficile de s’y faire une place.

 

9.         Parlez-nous de votre projet "Baroxisme".

 

Dans la continuité des « Portraits baroques », « Baroxisme » parle de la folie de manière assez crue, les personnages sont nus face au monde qui les entoure. Les sujets sont traités de manière frontale. Pour cette série inspirée par l’expressionnisme allemand, nous avons fait appel à des performeurs.

 

10.         Quels sont vos autres projets en cours?

 

Une série cette fois-ci co-signée avec Claire est en gestation…

 

Thank you so much again Philippe

Thank you Ricco, you’re welcome 

 

 

    Interview réalisée par Blandine Géneau pour Funquatre (1.4) : ICI

 

Avant d’aborder plus en détail certaines de tes séries, tes portraits me donnent l’impression que tu cherches chez les gens avant tout leur part d’étrangeté et de singularité, tu emmènes tes modèles dans ton univers mais en gardant leur particularité, peux tu nous en dire en plus de ta relation avec les modèles que tu choisis ?

La plupart du temps, les personnes qui posent pour moi me connaissent et apprécient mes photos. Je n’ai pas de critère de choix esthétique ou d’âge, l’important étant l’investissement personnel et l’envie de faire partie d’un univers. Avant chaque séance, il faut tout de même prendre le temps d’expliquer le projet, et puis, il y a les essayages, le maquillage… J’ai la chance de travailler en collaboration avec ma fille Claire qui participe à l’élaboration des séries « Baroques », prépare et maquille les modèles. Lors des prises de vues, tout en proposant des images que j’ai en tête, je laisse évoluer les modèles qui doivent se sentir en sécurité, c’est à dire à la fois libres et guidés. Avec ce rapport de confiance qui s’instaure, ils sont capables de se dépasser tout en gardant leur propre identité. L’important c’est la justesse, ils doivent puiser dans leurs ressources sans « surjouer ». C’est à moi de sentir dans quelle direction la séance doit évoluer selon la personnalité de chacune ou chacun.

 

Tu mélanges systématiquement des références et des ambiances “anciennes” à des références futuristes, pour exemple tes séries “Ancêtres futurs” et “ Humanoïd Spirit”, pourquoi ce besoin d’intemporalité ?
Le passé pour les racines et les bases, le futur pour l’imaginaire et l’aspect visionnaire, le présent pour la matière et l’actualité. Si les séries baroques donnent un sentiment d’intemporalité, il n’en reste pas moins qu’il s’agit aussi d’un simulacre du monde actuel, une façon de parler des difficultés à se trouver, s’accepter, s’imposer. Les portraits étant imaginés sous forme de fiction, en navigant dans un espace temps indéfini, en abolissant les frontières du temps, je peux combiner tous ces éléments et créer mon propre univers. L’univers étant vraisemblablement infini, je devrais avoir encore d’autres séries à réaliser ! Concernant « Ancêtres futurs », j’ai du mal à faire abstraction du passé car les premiers portraits qui m’ont marqué sont ceux de mes ancêtres. Austères et dignes dans leurs habits du dimanche… on réalise bien, encore aujourd’hui, à quel point l’acte de poser était important pour eux. J’ai donc photographié des membres de ma famille en me référant à ces postures solennelles mais toujours dans un esprit de fiction.

Pour tes dernières séries abordant des portraits baroques tu collabores avec ta fille, Claire, qui s’occupe des maquillages et de la recherche d’accessoires, comment est venu cette envie de travailler ensemble ? 
Nous n’en sommes pas à notre première collaboration artistique. Après avoir monté une pièce de théâtre basée sur des textes extraits de romans de science fiction, nous avons écrit un scénario de court métrage de SF en imaginant un futur où les gens seraient dépossédés de leur humanité, où ils n’auraient pas eu d’autre choix que de sombrer dans une folie douce, essayant de retrouver une dignité à leur manière. Les « Portraits baroques » sont nés d’une recherche de personnages de ce scénario. Claire qui, en effet, maquille les modèles et m’assiste lors des prises de vues a contribué à créer cet univers dans lequel nous nous retrouvons complètement en phase !

 

Ton travail sur les portraits baroques s’est fait en plusieurs étapes et est décomposé en plusieurs séries, c’était quelque chose de prévu dès le départ ou tu te laisses porter par le sujet ? 
Depuis la première série « portraits baroques » les personnages ont évolué. Les idées viennent au fil du temps et des séances, certaines thématiques différentes demandent à être creusées et déclinées sous une autre forme avec une ambiance qui corresponde mieux au propos.

 

Tu fais référence à plusieurs univers en passant du cinéma expressionnisme allemand (je ne peux m’empêcher d’y retrouver “Le cabinet du docteur Caligari” ou “Métropolis”) aux films aussi de Caro et Jeunet, quelles sont tes autres sources d’inspiration ? 
Oui, si on prend des références cinématographiques, on retrouve en effet dans mes séries une similitude (dans l’esthétique ou le propos) avec des films comme « Le cabinet du docteur Caligari » ou « Métropolis ». Films muets aux mises en scène théâtralisées où tout était pensé (lumière, décors) pour le n&b avec une bonne dose de fantastique. Et comme dans ces films, les photos aussi sont muettes, mais elles doivent pourtant raconter une histoire. C’est au spectateur de l’imaginer…Caro et Jeunet, c’est entre autre pour l’esprit Steam punk. Pour certaines photos, j’essaie aussi d’imaginer la force d’un portrait de Caravage croisée avec la froideur et l’aspect futuriste d’un dessin d’Enki Bilal… Mais ce sont des références, des repères. La source d’inspiration, je la trouve dans ma vie, autour de moi, dans l’actualité… On dit souvent, qu’un chien ressemble à son maître, je pense que c’est un peu vrai aussi pour un photographe et ses photos. Je dois être un peu « Baroque »… et les chiens ne faisant pas des chats, ma fille Claire se sent aussi très bien dans cet univers ! Elle aussi, apporte des idées et des points de vue.

 

Il y a dans ton travail une envie d’aborder des sujets en bousculant le spectateur, de parler d’étrange et de différence mais la violence du message est toujours détournée soit par un détail absurde soit par un univers onirique. Est-ce une façon de rester dans le divertissement malgré l’importance des thèmes abordés ? 
L’univers onirique bouscule le principe de logique. L’absurde contribue naturellement à nous faire sortir de cette logique. Cela m’aide à parler de thèmes plus ou moins délicats…Il y a aussi l’humour qui est à la fois une arme et un bouclier. Si j’utilise ce biais pour m’exprimer, ce n’est pas par divertissement mais plutôt pour me protéger.

 

Peux-tu nous raconter l’histoire d’une séance d’un portrait baroque ? 
La séance reste le moment clé de l’histoire, celui de la rencontre, du dénouement. Mais avant cela, il y a la recherche autour de l’univers, du propos et de la mise en scène. C’est en fait un questionnement quasi quotidien. Puis, plus d’ordre pratique cette fois, reste à imaginer l’esthétique qui correspond. Claire et moi trouvons régulièrement notre bonheur aux Emmaüs et dans les vide-greniers. Il arrive aussi maintenant que des personnes qui ont déjà posé, nous prêtent des objets qui leurs semblent insolites… Nous avons choisi invariablement de maquiller les modèles avec une base de blanc pour plusieurs raisons : l’aspect théâtral, les jeux de lumières que l’on peut obtenir avec une dramatisation des traits, et puis pour rester fidèles à l’idée de départ, c’est à dire, photographier des personnages fragiles, hors du temps. Les prises de vues se déroulent sur une demi journée mais ça déborde toujours…et la séance évolue sur plusieurs séries de l’univers baroque en fonction de la sensibilité du modèle. On s’oriente alors vers une collaboration artistique qui reste toujours un moment unique et précieux !

 

Les accessoires sont souvent essentiels dans tes images, ils interviennent à quel moment de ton processus de création ? (est-ce qu’un objet peut à lui seul te donner une idée de mise en scène ?) 
Pour un portrait par exemple, si j’enferme un visage dans une cage ou si je coiffe le modèle avec un lustre, la photo n’aura pas forcément le même impact. Dans le premier cas, l’accessoire (la cage) aura joué un rôle décisif dans l’interprétation et le sens de la photo. Dans le deuxième cas (le lustre) il va compléter une ambiance en jouant un rôle graphique ou esthétique qui me paraît intéressant.

 

Peux-tu nous expliquer tes techniques de prise de vue et ton post traitement pour donner cette atmosphère si particulière à tes photos ? 
Toutes les prises de vues de l’univers baroque se font au même endroit et le fond change en fonction des séries. Je me suis équipé de flashs de studio pour plus de souplesse mais j’ai longtemps utilisé des flashs déportés. Après une séance, j’évite de me précipiter sur mon ordinateur pour travailler les photos afin de ne pas me faire influencer par l’impression ressentie durant les prises de vues. Je laisse reposer… Le post traitement reste une étape importante dans le processus de création, il doit correspondre à l’ambiance voulue et rester cohérent tout au long de la série. J’utilise souvent des textures appliquées en transparence avec des calques sur Photoshop. J’ai donc pour cela réalisé un stock de photos pour textures (murs, tapisseries, toutes sortes de surfaces). Une fois le traitement effectué, là encore, je laisse reposer…

 

Tu nous a parlé de tes collaborations avec Claire, ta fille, mais tu collabores aussi souvent avec ta femme qui est plasticienne. Chacun a son domaine mais vous vous retrouvez régulièrement dans des projets communs. C’est vital ce partage en famille ? 
Oui, j’aime les collaborations, mais il faut avant tout être sur la même longueur d’onde…j’ai la chance de baigner dans un contexte artistique avec ma femme, Rodia Bayginot. Elle m’a un jour proposé de photographier des « porteurs d’art » afin de réfléchir de façon ludique à la place de l’art dans la société. Je n’avais alors qu’un compact numérique et je ne connaissais rien des logiciels de traitements numériques, (le passage de l’argentique au numérique fut au début plutôt désespérant pour moi) mais j’ai accepté, je me suis même totalement investi dans ce projet et le matériel a suivi… finalement, ce « work in progrès » s’est étalé sur presque quatre ans avec plus de 2000 portraits et autant de rencontres !

 

Tu as d’autres projets en cours en dehors de tes portraits baroques ? 
L’univers baroque reste une priorité actuellement mais je prépare une série « Rêves de mannequins » qui évolue entre fiction et réalité où il est question du paraître, de fantasmes…de dieu ! Toujours avec Claire, nous avons un projet pour une série imaginée et réalisée ensemble (conception, prises de vues, post traitement) qui sera donc co-signée. Et puis, il y a aussi toutes ces idées, ces débuts d’histoires, qui doivent évoluer avant de pouvoir un jour peut-être, se matérialiser photographiquement.

Merci Philippe !

 

 

 

 

                                                  L'interview  par Thierry Gil pour la Provence ( 2014) :

 

CULTURE

Les portraits baroques de Philippe Ordioni

Par Thierry Gil

 

Rencontre avec un photographe peu ordinaire inspiré par le 7ème art

 

Captivante. Voilà sans doute le terme le plus approprié pour désigner cette série de « Portraits Baroques » réalisée en noir et blanc par le photographe aubagnais Philippe Ordioni. Captivante, sombre et onirique. Inspirée par des univers fantastiques comme le Voyage sur la Lune de Georges Méliès, Blade Runner de Ridley Scott, THX 1138 de Georges Lucas, Delicatessen de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet et… par le sourire de Buster Keaton, elle met en scène des personnages androgynes qui évoquent l’enfermement psychique ou physique et nous interrogent sur notre rapport à l’étrange et plus généralement sur notre regard face à l’autre et à ses différences. Réalisés avec la complicité de sa fille Claire pour le maquillage et la préparation des modèles, ces compositions qui ont nécessité deux années de travail lui valent aujourd’hui la reconnaissance du public et des professionnels de l’image. Médaille d’or en mars 2013 du salon international de Reidisheim qui avait comme invité d’honneur le photographe Bernard Plossu, Philippe Ordioni a remporté il y a quelques semaines avec cette même série le Grand Prix du salon photographique de Chabreuil. Plus récemment c’est le magazine Photo Reflex qui consacrait un bel article à ces portraits baroques ne manquant pas de souligner à la fois la maîtrise technique et le sens de la narration de l’auteur.

 

Comment t´est venu l’idée de réaliser ces portraits baroques ?

 

Avec Claire nous avions en tête de réaliser un court-métrage. Nous avions commencé à écrire un scénario et puis cela ne s’est pas fait. C’est alors que j’ai eu l’idée de travailler sur ces personnages. Ce qui m’intéresse dans ces portraits, c’est le décalage entre l’univers onirique des compositions et ce second degré, cet humour grinçant, qui permet à chacun d’imaginer une histoire.

Comment se déroule une séance de prise de vues ?

 

Chaque fois qu’un modèle devait venir, nous réfléchissions au personnage qui lui conviendrait le mieux. Nous procédions alors à des essayages pour que le personnage colle parfaitement au modèle. C’est important de connaître le modèle et que celui-ci connaisse notre univers pour être en confiance. On pouvait créer avec lui plusieurs personnages mais nous prenions toujours le temps afin qu’il glisse petit à petit dans chaque personnage. Puis vient le temps du maquillage et la prise de vues qui peut durer de une à deux heures.

Il y a chez toi un véritable sens de la mise en scène…

Avec Claire nous avons passé beaucoup de temps à faire les vide-greniers pour dénicher toutes sortes d’accessoires et des vêtements dans les tons blancs écrus. Nous avons accordé beaucoup d’importance au stylisme pour créer à chaque fois une atmosphère différente. J’avais en tête des scènes, des personnages et des attitudes.

 

Y aura t-il une suite à ces portraits baroques ?

 

Oui, elle s’appellera « Barocco ». Les personnages évoluent, ils ont une baroque attitude qui s’affirme avec sensualité. Il se dégageait de la première série une espèce de romantisme sombre accentué par le traitement noir et blanc de l’image. La couleur fait discrètement son apparition dans la nouvelle série.

 

Propos recueillis par Thierry Gil

 

 

                                           Texte de Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

Philippe Ordioni est toujours  prêt à courir le risque de ne plus voir vraiment, de ne plus retenir une image stable et de pur reflet. Le vent de son souffle expressif crée à la surface de l’image bien des remous. Les représentations tels que nous aimons les appréhender se défont. Mais – en conséquence – l’espace est  un peu plus libre, un peu moins a priori dessiné et colorié de manière standard.

 

Entre peinture et photographie son oeuvre est discordante. Face aux tentations intimistes des pseudo révélations, face au corps platement exposé il propose un autre type d’impact. Ses mises en scène sont autant de  mise en formes aussi paradoxales que décapantes et efficientes.

Il n’hésite pas à « oublier le moderne ” en le ridiculisant, le diabolisant. Il lutte contre le consensus mou qui s’est emparé de la photographie ambiante, il combat aussi l’indifférence généralisée qui prospère au nom de la prétendue égalité démocratique des goûts - ce qui revient à imposer la loi du nombre, réduisant l’image à une activité rassurante aux effets anxiolytiques.

 

Ses images « virtuelles » ne se veulent pas celles  de saints ou saintes  auréolés d’une déférence de principe. Se refusant de devenir un vaticinateur pompier, il modifie l’atmosphère, attendris certaines formes. Son objectif n’est pas la séduction. Dans ses portrais le langage plastique fait événement. C’est par lui que tout passe.

Philippe Ordioni lave, débarbouillette les portraits à travers divers registres visuels. Tous s’unissent dans la même partition. Bref il s’agit d’une langue plastique  hors de la représentation tout en restant dedans, d’une plasticité vivante qui procure un plaisir d’émotions inédites et puissantes.

 

L’œuvre crée des échappées, une liberté faite d’ellipses dans le rêve, par différentes lacunes, glissements et montages en syncope. Il y a là un effet de double jeu du jeu que la langue anglaise note en distinguant game (quand le jeu a ses règles) et play (quand il invente ces règles à mesure). Chacune des images de Philippe Ordioni  représente ainsi un espace ouvert entre le game et le play. Le game est l'exploitation des figures et des règles. Le play est le jet d'une “ déprédation ” volontaire et qui fait sens.

 

En conséquence le créateur sort de l’art purement expérimental mais aussi d’une esthétique naturaliste.  Il s’agit par ce double jeu de trouver une langue susceptible de prendre en charge les instances improbables du portrait. Soudain s'expriment ses étreintes, ses incertitudes, son inconscient. L’ensemble prend corps par échappées d’une scénographie aux distorsions programmées face à la langue normée.

 

Le système des divers courts circuits créés par l’artiste devient la règle d’un jeu beaucoup moins ludique qu’il n’y paraît.  En surgit un  “ pluriel monstrueux ” (Novarina)  à la fois violent, lucide et joyeux par des altérations nécessaires. Elles permettent d’entrer en une paradoxale communication et en une confrontation communicante avec une expérience originelle, avènementielle. Une telle approche refuse l'assujettissement aux images  de  communauté pour offrir une expérience inédite qui, si on fait l’effort de l’accepter, est celle du savoir et du plaisir. La machinerie des images ainsi désaccordées bien des choses se passent.

 

Jean-Paul Gavard-Perret : Docteur en littérature, Jean-Paul Gavard-Perret enseigne à l'Université de Savoie. Membre du Centre de Recherche Imaginaire et Création, il est spécialiste de l'Image du XXème siècle et de l'oeuvre de Samuel Beckett.
Jean-Paul.Gavard-Perret@univ-savoie.fr

 

 

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